«Je dis que l’essence de Dieu, certes, n’est pas communicable de telle façon qu’elle puisse se mêler à une chose et devenir une seule nature ou essence avec elle ; mais que, d’une certaine manière, en raison de l’union si étroite et si intime qu’elle a avec les saintes âmes où elle se répand, on peut en quelque sorte la dire communicable. En sorte que, si tu veux être fils ou fille de Dieu, tu dois avoir cette même essence qu’a le Fils de Dieu, sinon tu ne peux être fils de Dieu.»
C’est un extrait de l’avertissement qu’adresse Angelus Silesius au lecteur, à l’orée d’un cheminement de 1676
«épigrammes et maximes spirituelles pour conduire à la contemplation de Dieu», et qui ouvre
Le Voyageur chérubinique . On y trouve déjà ce maniement des paradoxes qui donnent à ses écrits un tour si surprenant parfois, où le choc des mots et des idées provoque l’intensité poétique, rappelant la densité des haïku. Le titre de ce recueil, l’oeuvre qui signe sa personnalité, est aussi celui qui nous introduit au coeur de sa quête.
Johannes Scheffler est né à Breslau, en Silésie, dans un milieu luthérien. Voyageur, il l’est dès sa jeunesse, et il parcourt l’Europe d’université en université. A l’issue de ses séjours à Strasbourg, Leyde, Padoue, il devient docteur en philosophie et en médecine. Puis une crise religieuse le conduit à se convertir au catholicisme, en 1653. C’est à ce moment qu’il prend le nom d’Angelus Silesius. C’est que, pendant toutes ces années, avait mûri en lui une réflexion née de ses lectures et de ses affinités philosophiques: pour entrer dans son oeuvre, il faut s’imprégner de la tradition des mystiques allemands du 17e siècle, auxquels il s’est sans doute initié lors de son séjour en Hollande. La pensée de Maître Eckhart est très certainement présente dans son oeuvre ; quant à Jakob Boehme, mort l’année-même de la naissance de Johannes Scheffler, il est pour lui un compagnon spirituel très proche. La mystique d’Angelus Silesius, de cet «homme en route» comme l’écrit Roger Munier, qui s’adresse d’abord aux croyants, nous concerne tous. D’où les traductions plurielles du titre de son recueil, le
Wandersmann devenant tour à tour voyageur, pèlerin ou errant. D’où les anthologies de son oeuvre si différentes les unes des autres: certaines insistent sur la continuité de la quête religieuse, d’autres bâtissent un cheminement dans son texte où la mystique prend aussi une dimension humaine. Heidegger, dans
Le principe de raison , s’est emparé de la
«rose sans pourquoi» (livre I, 289), et Roger Munier affirme que ce « sans pourquoi » est au coeur de nos interrogations actuelles.